Entrevue avec Sophie St-Louis, Directrice principale – Contrôle qualité et cadre règlementaire, Viridis Environnement

Pourquoi entend-t-on davantage parler des matières résiduelles fertilisantes (MRF) dans les médias dernièrement?

SSL : Le sujet a refait surface récemment à la suite du dépôt d’un projet de règlement par les autorités provinciales* pour formaliser l’encadrement de la gestion des matières résiduelles au Québec. Ce que la majorité des médias et organisations qui se prononcent sur le sujet omettent de dire, c’est que le domaine du recyclage des MRF était déjà encadré d’une manière très sévère depuis plus de 20 ans. Le projet de Code de Gestion des MRF (CGMRF) vient avant tout officialiser cet encadrement tout en y ajoutant certains éléments.

Un de ces éléments ajoutés par le Ministère est l’imposition de seuils maximaux pour les PFAS, n’est-ce-pas ce qui était attendu par tous les intervenants du secteur?

SSL : Nous ne pouvons qu’être d’accord avec le Ministère quant à cette mesure puisque les PFAS (subtances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées) sont des contaminants d’intérêt émergent pour lesquels les données concernant les effets sur la santé et l’environnement sont incomplètes. L’application du principe de précaution s’impose même si les résultats d’analyses jusqu’à maintenant démontrent des teneurs en dessous des seuils prescrits par le projet de règlement au Québec et par la norme provisoire adoptée par le gouvernement fédéral. Cela dit, le projet de mise en place d’un code de gestion ne découle pas du tout de la récente crise de confiance envers les MRF. Ce chantier a été entamé en 2018, plusieurs années avant la diffusion des reportages sur les PFAS à l’origine de la crise. Le comité multipartite sur les MRF a travaillé sur plusieurs enjeux d’importance depuis les derniers 15 ans, enjeux qui n’ont rien à voir avec les PFAS, et je trouve vraiment réducteur de l’oublier.

Quels sont ces enjeux d’importance dont vous parlez?

Certains de ces enjeux sont très techniques. Mais la plupart concernent la gestion des risques environnementaux et l’acceptabilité sociale. Un des principaux risques dont il est essentiel de se préoccuper est la qualité des eaux souterraines et de surface. On critique également beaucoup les MRF à cause des odeurs. L’entreposage et l’épandage de MRF génèrent effectivement des odeurs. Il est légitime et même souhaitable de vouloir appliquer des mesures de mitigation et de contrôle à cet effet, mais il est important de comprendre que les odeurs font partie intégrante des activités agricoles. Il est utopique d’espérer les éliminer complètement.

Est-ce que le projet de règlement sur la gestion des MRF répond à ces enjeux?

Ces enjeux sont déjà largement couverts par des mesures contenues au Guide MRF actuel, et ces mesures sont transférées au nouveau CGMRF. De nouvelles exigences sont proposées dans le CGMRF et nous saluons les grands principes qui les sous-tendent. Néanmoins, certaines d’entre elles, notamment concernant les odeurs et les poussières, sont, selon nous, à ce point exigeantes qu’elles seraient difficiles à mettre en œuvre dans la pratique. Le Ministère préconise également de limiter le stockage de matières qui ne forment pas un amas stable au champ, une pratique qui, dans certaines conditions, peut présenter davantage de risque pour la qualité des eaux.  La plupart des intervenants adhérent à cette volonté du ministère, mais le moyen de contrôle suggéré dans le règlement est difficilement applicable. Nous sommes inquiets des possibles conséquences opérationnelles et économiques de ce changement.

À quels impacts pourrait-on s’attendre sur le recyclage agricole des MRF?

Les nouvelles contraintes proposées vont complexifier le recyclage d’une proportion importante des matières résiduelles fertilisantes actuellement valorisées en agriculture. Une adaptation des mesures de contrôle et des exigences amenées par le Ministère devrait donc être effectuée pour correspondre à la réalité opérationnelle sur le terrain. Il faudra également prévoir des délais et un soutien financier pour permettre aux opérateurs de développer des solutions alternatives et aux usines génératrices de modifier leurs procédés afin d’améliorer les propriétés de leurs matières.

* Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les Changements Climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP)


Qui est Sophie St-Louis?

L’agronome Sophie St-Louis œuvre dans le secteur de la gestion des MRF depuis plus de 20 ans. La combinaison de ses connaissances des enjeux du terrain ainsi que sa maîtrise des moindres aspects réglementaires et normatifs en fait une référence incontournable dans le milieu. On fait appel à son expertise au sein de nombreux différents comités et groupes de travail sur les MRF (OAQ, Réseau Environnement, MELCCFP). Sa contribution significative à son domaine ainsi qu’à l’avancement de la notoriété de la profession d’agronome a été reconnue par ses pairs qui lui ont décerné en 2023 l’Ordre du mérite agronomique.